Fin juilet 1980 je débarque seul à Prague. Je loge, chez un médecin, dans un grand pavillon à deux pas du terminus de la ligne C de l'époque (Kačerov). Il vit au rez-de-chausée avec sa femme et au premier étage il y a sa fille avec son mari. J'ai une vaste pièce à disposition à cet étage. Je suis séparé de leur chambre à coucher par un salon inoccupé.
J'ai eu beaucoup de mal à retrouver l'endroit. J'ai dû étudier l'historique du métro de Prague, utiliser google earth et d'anciennes photos. Je me souvenais que le pavillon était près d'un virage et d'une autre rue très calme, un lieu sympa et lumineux. Il semblerait donc que j'ai logé au 38 Hornokrčská. Le ravalement nickel de la maison m'a d'abord induit en erreur, de même que ce chemin de terre Kunžacká jadis au milieu de terrains vagues et aujourd'hui bordé de petites résidences. Des arbres ont poussé rendant malgré tout l'endroit encore aéré.
Le lendemain de mon arrivée, la connaissance francophone de ma cousine me convie à visiter l'exposition du caricaturiste
Adolf Born qui a lieu dans un bâtiment proche de l'horloge astronomique. Le choc est de taille, le monde imaginaire d'Adolf Born me fascine. Mais la surprise ne s'arrête pas là. Deux ou trois jours plus tard la fille du médecin chez qui je logeais et son mari me conduisent en fin d'après-midi dans l'atelier d'Adolf Born. Se connaissaient-ils? L'homme est très sympathique, très cool, plein d'humour. Je me souviens aussi qu'il faisait une collection de chapeaux (haut-de-forme, claque, melon, ...) comme un vrai capéophile. Il m'a montré une partie de sa production puisque j'étais venu pour ça. Je lui ai acheté deux lithographies à un prix très raisonnable et, avant que nous prenions congé, il nous a offert l'apéro.
Ensuite nous avons repris le métro (ligne C) direction le coeur de Prague. Nous avons croisé un type bien bourré près de la tour Poudrière mais cela n'était rien par rapport à ce que 25 ans plus tard j'ai vu à Tallinn (Estonie). D'immenses boutiques de vente d'alcool avaient pignon sur rue partout dans la ville en 2005 alors qu'à moins de 100 kms de là, à Helsinki (Finlande), c'était presque confidentiel, tout comme en Norvège ou en Islande d'ailleurs.
Au niveau alcool les Tchèques en connaissent un rayon, il faut dire que leurs bières comptent parmi les meilleures du monde surtout les artisanales vendues uniquement dans certaines brasseries. Par deux fois j'en ai fréqunté une fameuse non loin du luxueux lycée russe de Prague sis dans un quartier résidentiel totalement ignoré des touristes. Je ne me souviens plus du nom mais je crois qu'en français ça voulait dire "au matelas" ou quelque chose du même genre. Le lieu était fascinant et désespérément simple : un couloir central, à gauche la pièce où l'on boit, à droite la pièce où l'on pisse, toutes les deux de taille identique. À table chacun avait devant lui un petit papier avec des barres. Chaque barre signifiait un demi de bière bu. La personne devant laquelle je me suis assis la première fois que je me suis rendu ici avait déjà 6 ou 7 barres. La conversation s'engageait facilement en ces temps même si vous aviez un anglais très scolaire. J'ai appris qu'il était batteur mais j'ai aussi compris pourquoi les urinoirs étaient si gigantesques.
Ma citoyenneté française (donc de l'ouest) attirait la curiosité, surtout celle des filles tchèques mais ça c'est une autre histoire.
À chacune de mes venues je ramenais des cadeaux de France. Cette fois là il y avait, entre autres, pour notre connaissance maîtrisant le français, un livre de Milan Kundera (Le livre du rire et de l'oubli) que j'avais recouvert d'une sorte de liseuse en papier par discrétion. Cet écrivain morave natif de Brno avait quitté la Tchécoslovaquie en 1975 pour venir s'installer en France. Tout à fait par hasard en 1981, je découvre son adresse personnelle près de la FNAC Montparnasse. Ses écrits talentueux étaient interdits dans son pays natal pour des raisons qui paraissent vraiment futiles aujourd'hui. D'ailleurs en 1990 son livre "La plaisanterie" sera édité en tchèque dans son pays.
En cette Tchécoslovaquie, pas encore République tchèque,
tout était prétexte à boire de la bière avec parfois une sorte de trou normand pour faire une pause si je puis dire. Cet alcool en cause, dit des "chasseurs", se nomme Stará Myslivecká et est très différent de la Slivovice ou de la Becherovka. Un soir revenant d'une de ces beuveries dans une taverne, je marchais longuement dans une interminable rue où selon les indications de mes connaissances je devais trouver une station de métro pour rentrer. Par chance elle est encore ouverte. C'est en arrivant à destination que je m'aperçois que je venais de prendre le dernier métro parce que les employés se sont affairés à tirer les grilles après que tout le monde fut sorti. Je gagne rapidement le pavillon où je logeais. Une fois arrivé au premier étage je croise dans le hall le mari de la fille du médecin qui s'apprêtait à aller aux toilettes. Après un "dobrý večer" d'usage telle ne fut pas ma surprise de le voir appeler sa femme. Elle paraît en peignoir et nous voici tous les trois dans la cuisine à discuter de la journée avec du café et du thé pour nous accompagner. Leur hospitalité est incroyable.
Le lendemain matin, comme tous les matins, je me retrouve dans cette cuisine au sol de bois. Le mari de la fille du médecin me prépare le petit déjeuner. Sa femme est déjà partie travailler alors que lui reste à la maison pour terminer sa thèse d'ingénieur. Nous n'avions aucune langue en commun et pourtant je me sentais très à l'aise avec ce type très cool. Il moulait son café à l'aide d'une antique machine à manivelle accrochée au mur. Les grains broyés dégageaient un super parfum.
Une semaine après mon arrivée une de mes sœurs et ma cousine qui connaissait depuis plusieurs années cette tchèque francophone m'ont rejoint. Nous avons, entre autres, visité le fameux château de Karlštejn.
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